Chevaux légendaires

Cheval de glace

Altaïr
Amira
Tormenta
Zaldia
Bucéphale

Table des matières

Prologue

Prologue

Le jour où Alexandre le grand, à peine âgé de douze ans, défia et dompta l’étalon Bucéphale, je devinai qu’il aurait un destin exceptionnel. Mais j’ignorais alors que nos destins seraient liés à jamais.

J’étais à la recherche d’un cheval de combat robuste et endurant, et je savais qu’un marchand venu de Thessalie venait à la cour de Philippe II, roi de Macédoine, présenter ses meilleurs chevaux. Je remarquai immédiatement un magnifique étalon noir, au regard brûlant de fierté, aussi ardent que puissant, qui ne laissait personne l’approcher. « Je veux celui-là ! » s’écria alors avec arrogance Alexandre. Le roi Philippe lança d’un air moqueur : « Il sera à toi si tu réussis à le dompter, mon fils. »

Ce cheval ne craignait que son ombre, le jeune garçon l’avait intuitivement compris. D’un bond d’athlète il l’enfourcha et après un rude combat de ces deux volontés inflexibles, il parvint à le tourner face au soleil pour l’apaiser. Bucéphale était l’un de ces chevaux qui n’obéissent qu’à un seul

Prologue

maître, et je sus qu’il lui serait fidèle pour toujours. Le roi Philippe prononça alors quelques mots prophétiques : « La Macédoine ne suffira pas à combler tes appétits, il te faudra conquérir le monde ! »

Lorsque le roi Philippe mourut, Alexandre avait vingt ans. Je m’étais engagé à son service et j’étais devenu son fidèle garde du corps. Il avait tous les traits d'un héros de l'Iliade, charismatique, ambitieux, intempérant et brutal, mais aussi cultivé et fin stratège. Aristote avait accepté d’être son précepteur et son enseignement portait ses fruits. Lorsqu’Alexandre annonça sa décision de partir soumettre l’empire Perse, nous fûmes 40.000 soldats grecs et macédoniens à le suivre sans hésiter.

Juste avant de partir en guerre, la reine Olympias, puissante prêtresse de Zeus qui dormait avec ses serpents et que tous craignaient, fit coudre dans les quartiers de la selle de Bucéphale un objet cylindrique protégé par une peau de serpent. Elle noua autour du cou d’Alexandre un collier paré d’une étoile à cinq branches, gravée de signes incompréhensibles,

Prologue

qu’elle glissa sous son plastron. Puis elle me fit prêter serment et jurer le plus grand secret :

« Ptolémée, je te confie la protection mon fils. Il sera invincible sur les champs de bataille tant qu’il chevauchera Bucéphale, et qu’il conservera sur lui ce sceau de toute-puissance. Veille à ce qu’il ne s’en sépare jamais, et je te prédis que tu deviendras Roi d’un immense pays lointain, et que ta descendance continuera à prospérer au cours des siècles. »

En huit ans, sous son commandement, nous renversâmes l'empire des Perses et des Mèdes malgré une écrasante infériorité numérique. De garde du corps je devins lieutenant puis général. Nous étions invincibles. Mais la soif de pouvoir et de gloire d’Alexandre était si démesurée et ravageuse qu’il en perdait sa lucidité. Les royaumes conquis, sans gouvernance solide, cédaient au chaos. Le grand conquérant était hanté par la crainte de la trahison des siens et il se mettait dans des colères incontrôlables. La folie brûlait dans son regard vairon et il exécutait quiconque remettait en question ses ordres. C’est quand il

Prologue

poignarda à mort ses deux plus fidèles officiers, venus le supplier de laisser les troupes harassées rentrer au pays, que je décidai d’intervenir et de rompre mon serment à Olympias. Ce fut la décision la plus difficile que je pris de toute mon existence.

La nuit précédant une bataille que je savais perdue d’avance contre les Hindous, je m’arrangeai pour droguer Alexandre et Bucéphale. Lors de la bataille contre les archers d’Inde juchés dans des tours de bois sur leurs éléphants de combat indestructibles, nous perdîmes un grand nombre d’hommes et de chevaux. Alexandre, pourtant affaibli par l’effet de la drogue, s’entêta et exhorta les troupes à poursuivre le combat. Bucéphale tomba en affrontant un éléphant, et Alexandre fut assommé dans sa chute. Je commandai le repli de l’armée et fis évacuer Alexandre sur une civière. Mais avant, je dérobai le sceau du pouvoir et en brisai chaque branche avec mon épée. Cinq cavaliers de confiance furent chargés d’emporter une branche de l’étoile le plus loin possible, afin que nul ne puisse les rassembler à nouveau. Le cinquième cavalier, mon meilleur lieutenant, enfourcha Bucéphale,

Prologue

désorienté par l’effet de la drogue et de sa chute, et partit à son tour vers l’un des confins du monde.

À l’endroit où Bucéphale tomba, Alexandre fit ériger la ville de Bucéphalie. Il ne fut plus jamais le même. Nous abandonnâmes la conquête de l’Inde et rentrâmes. Alexandre succomba de fièvres des marais à Babylone, juste avant ses trente-trois ans.

Les prédictions de la reine Olympias se réalisèrent, je suis devenu roi d’Égypte. Du haut du Phare que j’ai fait ériger sur le port d’Alexandrie, cette ville qu’Alexandre fonda, j’observe l’étendue de ce royaume que j’ai su faire prospérer, en essayant d’être juste et respectueux des coutumes égyptiennes. Je viens de fêter mes 80 ans, et de ma longue existence, je ne revis jamais aucun des cinq cavaliers. Le monde est bien trop vaste pour qu’un seul prétende le gouverner, sans risquer de l’anéantir. Je prie Zeus et Amon que nul, jusqu’à la fin des temps, ne réunisse à nouveau les cinq fragments du sceau d’Alexandre le grand...

- 1 -

Chapitre 1

Altaïr, je suis un imbécile, j’aurais dû t’écouter. Toi qui es toujours prêt à galoper sans frein, tu t’es montré rétif, tu secouais la tête et fouettais de la queue pour me faire comprendre que le sol n’était pas sûr sous cette neige traîtresse. Après la grande sécheresse de l’été, l’hiver s’était montré particulièrement rude et interminable, et en ce jour que je choisis pour l’affronter, une tempête de Zud blanc s’est abattue subitement sur nous. Aveuglé par les rafales de neige et de sable venus de Sibérie, j’ai mis pied à terre et je t’ai traîné à ma suite. Tu t’es cabré, m’arrachant les rênes des mains, et soudain le sol s’est dérobé sous mes pieds. Et maintenant, je gis au fond d’une crevasse de roche et de glace, impuissant et seul. Comment vais-je me sortir de là ?

Arrête de trottiner au dessus de la crevasse, tu vas finir par y tomber toi aussi ! Va chercher de l’aide, plutôt, retourne aux yourtes, préviens ma famille. Toi Altaïr qui a gagné avec moi la course des jeunes chevaux lors de la fête du Naadam national, toi qui portes le nom de

Chapitre 1

l’étoile la plus scintillante de la constellation de l’Aigle, ils te suivront. Allez envole-toi !

Mon étalon pousse un long hennissement de détresse, avant de faire volte-face et de s’en retourner vers le campement. Je prie Tengri, le ciel bleu éternel, pour que l’aide arrive vite, avant que mon corps ne se fige dans son tombeau de glace.

Je remue doucement les orteils, à l’abri dans des bottes fourrées de laine de mouton. Je contracte les muscles de mes jambes, elles semblent intactes. Je tente de redresser le haut de mon corps, mais une douleur lancinante dans mon torse et mon épaule droite m’empêchent de poursuivre. Mon bras droit ne répond plus, j’ai du me démettre l’épaule. Tant pis, ça aurait pu être pire. Je respire à fond, serre les dents et prends appui sur mon côté gauche pour me soulever, puis me redresser. Quelques morceaux de roche dégringolent, je les entends ricocher contre les parois de la crevasse, puis le silence ouaté reprend ses droits. Je n’entends plus que le sang qui tambourine dans mes tempes. J’observe ma prison de glace, à la recherche d’un moyen d’en

Chapitre 1

ressortir. Je me trouve sur une petite terrasse, et le prochain balcon se situe à plus de cinq mètres en hauteur. Les parois rocheuses sont pratiquement lisses, veinées par endroits des eaux de fonte figées maintenant par le froid, dures comme du verre. Je ne vois nulle part de prises naturelles valables pour tenter une escalade. Bien sûr dans ma chute j’ai perdu mon sac, qui contenait outre des victuailles, une corde en crins de cheval, des allumettes, des jumelles, une gamelle et un couteau. J’ôte mon gant gauche et je fouille les poches de mon del déchiqueté, un long manteau bien chaud. Dans l’une, je trouve des débris d’Arul que j’engloutis aussitôt. Ce fromage sec va me donner un peu de forces. L’autre poche bâille, déchiquetée. Je suis aussi démuni qu’un pou sur la tête d’un chauve...

Bon, est-ce qu’un morceau de roche pointu pourrait me servir de piolet d’escalade ? Fébrile, je fouille le sol de la petite terrasse de pierre où je suis perché. Rien que de la neige et du gravillon et des gouttes du sang qui dégouline de mon nez. Rageur, je donne un coup de pied dans la neige et là, j’aperçois un serpent et je recule instinctivement.

Chapitre 1

S’il décidait de sortir de son hibernation, j’aurais l’air malin ! Comme c’est ma seule compagnie dans cette crevasse, je l’observe de plus près. Je le pousse légèrement du pied et sa peau se défait partiellement, révélant un éclat mordoré par en dessous. Je bouge un peu plus l’animal du pied, libérant de sa carcasse une sorte de fin cylindre en métal, d’une vingtaine de centimètres de long, assez similaire à... un petit rouleau à pâtisserie. Je m’accroupis et le saisis avec précaution, il me semble plein et compact. Je l’empoigne et teste sa solidité en le tapant de plus en plus fort contre le sol, et l’espoir commence à me gagner : je vais peut-être pouvoir m’en servir comme d’un piolet d’escalade !

Mais d’abord, je dois retrouver l’usage de mon bras droit. Je vérifie l’appui de mes pieds, le pivote le haut du corps et d’un coup brusque, je le rabats sur la droite contre la paroi rocheuse. Un éperon fulgurant me vrille des orteils jusqu’au sommet du crâne et la douleur m’arrache un hurlement de bête sauvage. Des larmes voilent mon regard et je tombe à genoux, le souffle coupé. Je reprends peu à peu mes esprits et

Chapitre 1

je tente de remuer mon bras droit. La douleur est différente, plus sourde mais constante, mais je peux à nouveau me servir de mon bras. Je me remets doucement debout en respirant à fond. Allez, je vais y arriver !

Avec mon piolet improvisé, je tape sur les rigoles d’eau gelée qui parcourent la paroi, créant des encoches suffisamment grandes pour y glisser quelques doigts ou quelques orteils. Et bientôt, lentement et méthodiquement, luttant contre la douleur irradiante, je parviens à gravir les mètres qui me séparent du renflement rocheux suivant. Je m’y réfugie, accroupi, essoufflé mais fier de cette première victoire. Puis je jette un regard en hauteur : si je poursuis à ce rythme, il me faudra... Oh non, au moins trois jours sans m’arrêter pour espérer atteindre le sommet !

Je résiste au découragement qui m’envahit. Je pense à mon valeureux Altaïr, je sais qu’il trouvera le chemin du retour aux Yourtes. Mais combien de temps s’écoulera-t-il avant que mes sauveteurs me trouvent, et me hissent hors de ce précipice ?

Chapitre 1

Mon cœur retrouve lentement son rythme de croisière pendant je reste prostré sur cette minuscule anfractuosité. Mais des fourmillements dans les extrémités me poussent à me relever. C’est en ne faisant rien que mon corps, puis mon esprit, vont s’engourdir, et que je m’endormirai sans m’en rendre compte. Courage ! Je dois lutter, continuer cette ascension, pour me sentir vivant, même si je ne progresse que de quelques mètres. Mais d’abord, m’hydrater. Avec mon cylindre métallique, je détache quelques glaçons que je laisse fondre dans ma bouche. Je scrute la paroi pour choisir l’emplacement des encoches. Tiens, on dirait un reflet métallique, un peu plus haut, dans une sorte de miroir glacé bien plus large que les veines de glace. Cela va me servir de repère, et de lieu de repos puisque je pourrai peut-être y créer une terrasse artificielle. Je me concentre sur cet objectif, et têtu comme un cheval qui gratte la neige de ses sabots pour dénicher une touffe d’herbe, je continue mon escalade.

Il était temps que je parvienne à cette espèce de nid-miroir, je sens mes muscles se tétaniser.

Chapitre 1

Suspendu dans le vide, je martèle la surface comme un forcené, faisant jaillir des cristaux translucides de tous côtés. La glace craque, crépite. Mes paupières sont presque closes pour ne pas recevoir des cristaux coupants dans les yeux. Soudain, le bruit de mon piolet sur la glace se modifie, des vibrations remontent le long de mon bras. On dirait que je frappe un tambour. À moins que la fatigue ne crée des bourdonnements dans mes oreilles. J’ouvre les yeux et je recommence à cogner : ce bruit est bien réel !

Intrigué, je crée deux encoches supplémentaires pour me hisser à une meilleure hauteur, et là, je manque de repartir en arrière tant la vision qui s’impose à moi m’épouvante. Dans la cavité glacée, j’aperçois une sorte d’anneau métallique fixé à une bande de cuir, puis mon regard remonte et je me retrouve devant une face macabre, qui me fixe de ses orbites laiteuses...

Un cheval figé dans la glace !

- 2 -

Chapitre 2

Combien de temps s’est écoulé depuis que je suis prostré auprès de ce cheval de glace ? Quelle chute terrible il a du faire lui aussi, mais il a eu moins de chance que moi, le pauvre. Enfin pour l’instant...

Les parois qui me surplombent sont faites seulement de roche, impossible de les gravir. Des pensées incohérentes vacillent dans ma conscience. La lumière du jour s’affaiblit et pourtant, des papillons multicolores volètent autour de moi, m’arrachant des sourires de bonheur. Ça y est, l’hiver se termine, l’herbe verte et veloutée crève la couverture blanche, coquelicots, boutons d’or, myosotis et violettes éclaboussent nos montagnes de Mongolie de leur insolent désir de printemps. Mais un voile grisâtre retombe aussitôt sur cette vision et des frissons parcourent mon corps. Non, non, l’hiver n’est pas fini, mon esprit déraille et peut-être que je ne verrai pas le prochain printemps.

Comment moi, Battushig, 17 ans, étudiant en informatique à l’université nationale de Mongolie, me suis-je retrouvé loin de la furie d’Oulan Bator la capitale pour mourir de froid dans la montagne mongole ?

Chapitre 2

Je me concentre sur mes derniers souvenirs. Dix heures de bus cahotant pour rejoindre la steppe, puis deux heures de marche pour rejoindre le campement d’hiver de ma famille. Mon étalon, Altaïr, si reconnaissable avec sa robe café torréfié aux reflets rouge cerise et son épaisse crinière noire brillante, qui quitte le troupeau et galope vers moi en poussant des hennissements sonores. L’émotion de nos retrouvailles, lui qui fourre son bout de nez dans mon cou, qui balaye mon torse de son chanfrein, puis s’écarte et tournoie comme un jeune chiot avant de revenir poser son front sur mon épaule en soufflant bruyamment. Moi qui le flatte, l’enlace, lui parle tendrement. Comme il m’a manqué !

Altaïr m’escorte jusqu’aux Yourtes en caracolant joyeusement. Mes trois petites sœurs se ruent vers moi, manquant de me renverser à force de vouloir sauter en premier dans mes bras. Elles ont encore grandi mes petites chéries. Ma mère, Daguima, me serre dans ses bras, avant de m’apprendre que mon père est parti à une réunion des éleveurs de chevaux au mont Altaï. Mais qu’il doit être sur le chemin du

Chapitre 2

retour. Je me souviens de ma déception, j’ai si peu de temps ! Puis je me vois, emmitouflé de force par ma mère dans des vêtements traditionnels chauds, les pieds protégés par des bandes de feutre enroulées jusqu’en haut des chevilles, avant d’enfiler des bottes. Elle glisse un sac de victuailles sur mon épaule alors que je suis déjà juché sur Altaïr, puis elle répand quelques gouttes de lait en hommage aux esprits des ancêtres pour qu’ils me protègent. Je la salue et pars au grand galop à la rencontre de mon père, pour lui annoncer la grande nouvelle...

Gantulga mon père, trop fier de ses traditions pour accepter d’utiliser un téléphone portable. Heureusement que Daguima ma mère l’a convaincu d’acheter des panneaux solaires pour avoir du courant, comme la plupart des nomades. Et aussi une antenne parabolique pour suivre les nouvelles - et aussi les feuilletons coréens à l’eau de roses - à la télévision ! Ah, mon père... on n’aurait pu rêver plus révélateur que son nom, qui signifie « cœur en acier ». Et son orgueil dépasse celui de Gengis Khan ! Comment réagira-t-il quand je lui annoncerai l’événement incroyable qui

Chapitre 2

m’arrive ? Grâce aux cours d’informatique en ligne gratuits prodigués par l’université américaine du MIT, dans le Massachussetts, et au projet que j’ai pu développer avec l’aide des professeurs et étudiants à l’université nationale de Mongolie et à travers le monde d’Internet, le MIT m’offre une bourse pour intégrer ses rangs d’étudiants ! Verrai-je la fierté sur le visage de mon père, ou vais-je me transformer en glaçon inerte, à l’image vitrifiée de ce cheval ?

Tiens, ferait-il déjà nuit ? Je vois luire les premières étoiles, le cheval de glace hennit pour les saluer. Je l’entends chevaucher, et maintenant, il me parle. Je me frotte les yeux de mes mains engourdies, le cheval de glace n’a pas bougé. Ce doivent être les hallucinations de l’hypothermie.

- Battushig ! Tiens bon ! On vient te récupérer !

Des cliquetis métalliques déchirent le silence ouaté des montagnes. Dans un brouillard de conscience, je distingue des points lumineux qui se rapprochent très lentement. Des voix qui m’encouragent. C’est

Chapitre 2

une chaîne de points de plus en plus gros maintenant. Piolet en main, collier de mousquetons et cordes autour de la ceinture, des membres de ma tribu viennent vers moi. Mon grand frère, Gambat, responsable du campement pendant l’absence de notre père, me soulève et frotte mon visage pour y faire revenir le sang. Dans un dernier effort, je pointe de la main le cheval pris dans la glace. Le reflet de la lampe frontale de Gambat sur la glace m’éblouit. De surprise, mon frère manque de me lâcher. Mais il se ressaisit et je sens maintenant qu’il fixe des sangles autour de moi.

- C’est Altaïr qui nous a menés vers toi, espèce d’imprudent !

Je crois que je parviens à sourire avant de perdre conscience pour de bon.

- 3 -

Chapitre 3

- Tu es réveillé ? Enfin ?

Une voix douce parvient jusqu’à moi. Je perçois une caresse sur mon bras et mon cœur s’emballe. C’est Salonqa, mon arc-en-ciel, la fille que j’aime depuis si longtemps et à laquelle je n’ai jamais réussi à avouer mes sentiments. Je crois que je vais faire semblant de dormir encore !

Des doigts courent sur mon ventre et me chatouillent tant que j’ouvre les yeux et pousse des rires qui se terminent par un cri :

- Aïe !

- Oh je suis désolée ! s’excuse Salonqa. J’avais oublié que tu étais tout cassé !

Des images de ma chute et de mon sauvetage me reviennent en vrac. Suis-je dans un hôpital ? Non, je reconnais les murs ronds, les treillis de bois entourés de couches de feutre de notre yourte, les tentures colorées aux motifs géométriques, et l’odeur du Horhog aux légumes et au mouton qui bouillonne sur le poêle. Mon ventre en gargouille d’impatience !

Chapitre 3

- Oh je n’ai pas grand-chose, ça aurait pu être pire, dis-je en soulevant mes mains que je découvre bandées.

- Mmm... Tu l’as échappé belle, d’après le docteur itinérant. Juste des côtes fêlées. Mais avec tes engelures, dommage que tu ne puisses plus te servir de tes doigts sur un clavier... ni même de tes doigts de pieds !

Salonqa extrait un miroir de son sac à dos et le promène au dessus de mon corps comme pour le scanner. J’examine l’étendue des dégâts. Des bandages autour du torse pour les côtes fêlées, des mains et des pieds emmaillotés comme des nourrissons, et mon visage... de la bouillie de contusions noires, violettes et jaunes. Je ne suis vraiment pas beau à regarder. Je change de sujet :

- Mon frère ? Altaïr ?

- Ils vont bien et ont hâte de te retrouver. Et en attendant que tu sortes de ton lit, gros paresseux, je t’ai apporté un cadeau !

Chapitre 3

Salonqa dépose sur mon abdomen... mon ordinateur qui était resté à l’université ! Elle ne pouvait pas me rendre plus heureux. Mais comment je vais faire pour pianoter ?

- Une petite amélioration que tes camarades y ont apportée ! annonce joyeusement Salonqa. Commandes vocales, ça te rappelle quelque chose ? Allez essaye !

Je me prête d’autant plus volontiers à l’exercice que je suis celui qui a adapté un logiciel de reconnaissance vocale en langue mongole, et créé un didacticiel, pour aider les enfants nomades des steppes et des hautes montagnes à apprendre à lire et à écrire. Notre gouvernement a fait un effort colossal pour développer l’internet par câble à travers le pays, et il suffit aux nomades de se brancher électriquement et de se connecter sur un des nombreux relais parsemés dans le pays pour pouvoir travailler et progresser. Je suis tellement reconnaissant d’avoir pu bénéficier des cours gratuits à distance du MIT, que j’ai voulu faire profiter les enfants de mon pays de ce modèle. C’est un peu, beaucoup même,

Chapitre 3

pour, enfin je veux dire grâce à Salonqa, elle la fille d’un Tsaatan éleveur de rennes dans la rude Taïga du nord, devenue étudiante à l’université par la force de sa volonté. Sa passion pour l’enseignement est tellement communicative, elle est tellement...

- Allez, ce n’est pas une statue que tu es en train de contempler ! Active !

Je m’exécute docilement en rougissant sous mes hématomes.

- Allumer.

L’ordi m’obéit aussitôt, l’écran dévoile l’image panoramique de la salle de cours à l’université d’Oulan Bator, les cris enthousiastes de mes camarades retentissent et mon Professeur Temudjin apparaît à l’image, faisant taire mes camarades :

- Nous sommes heureux que tu sois en bonne santé, fait-il en inclinant la tête. Ainsi, fait-il en pointant la caméra murale dans la salle de cours, tu ne manqueras aucune leçon. Bienvenue parmi nous. Hum hum, allons, reprenons le cours, achève-t-il en disparaissant de l’image.

Chapitre 3

Ah, la pudeur bien connue des mongols... Mais j’ai bien deviné à quel point il était heureux, mon cher professeur. Il m’a pris comme assistant, ce qui me permet de financer mes études et de ne rien coûter à mes parents, et il n’a jamais cessé de m’encourager. Je lui dois tant ! Salonqa dit que comme il n’a pas d’enfants, il a choisi de se consacrer à ses élèves, de les accompagner même quand ils ont fini leurs études. Et c’est une famille drôlement nombreuse qu’il a, une famille fidèle et reconnaissante.

Tiens, une icône « info » clignote en haut de l’écran. Les mots-clés que j’ai programmés me permettent de trier les infinis flux d’informations internationales. Je l’ouvre par une commande vocale et des images en direct défilent.

«Breaking news. Une découverte incroyable qui réjouit le monde des paléoanthropologues et des chercheurs en Histoire Naturelle. Suite à l’accident d’un adolescent dans une crevasse du mont Altaï en Mongolie, le corps cryogénisé d’un cheval, d’une race probablement disparue de

Chapitre 3

nos jours, a été identifié au sein d’une gangue de glace. Son corps semble en bon état de conservation. Les scientifiques de l’Académie des Sciences d’Oulan Bator ont construit un laboratoire d’observation temporaire, aux alentours du lieu de la découverte, avec l’aide de spéléologues. D’après les premières estimations des scientifiques, ce cheval aurait vécu entre 2.000 et 2.500 ans avant notre ère. Les recherches se poursuivent en montagne pour trouver le corps de son éventuel cavalier... »

- Hé ! Mais c’est Jargal ! s’écrie soudain Salonqa en désignant un beau jeune homme parmi les scientifiques. Il est de plus en plus séduisant...

Mes mâchoires se serrent involontairement à l’évocation du nom de Jargal, l’ex de Salonqa. Je le hais, ce Dom Juan. OK, elle a fini par le quitter parce qu’il était notoirement infidèle, mais elle en a pas mal souffert. Et j’ai peur qu’elle ait encore des sentiments pour lui... Par rage, je tends ma main vers le clavier pour quitter ces images mais je suis d’une maladresse telle avec ces bandages que j’envoie valser l’ordi.

Chapitre 3

- Du calme ! rit Salonqa en replaçant l’ordi sur mon ventre. Pense à utiliser ta voix plutôt que tes gros doigts. Allez, je retourne en cours, je reviendrai bientôt, conclut-elle en déposant un baiser léger comme un papillon sur ma joue. Mon cœur se prend pour un aigle et bat des ailes dans la cage de ma poitrine. Pourvu qu’elle n’entende pas ce tintamarre. La prochaine fois que je la verrai, c’est sûr, je lui avouerai mon amour !

Un rire discret au dos de mon lit me fait sursauter. Ma grand-mère s’approche à pas menus, une coupe de thé au lait salé à la main. Elle était assise là derrière moi dans la yourte tout ce temps ! Avec son sourire ensoleillé de rides, comme autant de lumineux souvenirs d’histoires de sa vie, elle me fait boire tout doucement, comme quand j’étais petit enfant. Et je remercie la pudeur légendaire des mongols, pour n’avoir pas à répondre à la taquinerie que je devine dans ses yeux...

- 4 -

Chapitre 4

Mon esprit bouillonne tandis que je reste étendu sur ma couche, impotent et inutile. Le cours de l’université flotte comme un brouhaha auquel je suis incapable de prêter attention. La tentation est trop forte, je rôde sur les informations que je pourrais glaner autour du cheval de glace. Les spéculations vont bon train dans les médias mais tant que les analyses n’auront pas été à terme, la vérité restera cachée. Et si je retournais sur le lieu de ma chute, pour observer les naturologues et paléoanthropologues ?

Ne vous moquez pas, je ne parlais pas de m’y rendre physiquement, vu mon état. Mais étant donné l’équipement incroyable de notre Académie des sciences, grâces à des mécènes internationaux, il doit sûrement y avoir un système de caméras dernier cri pour étudier le cheval à distance, sans risquer de le dégrader. Si je pouvais me connecter sur ce système, en toute discrétion bien sûr, j’aurais les informations en direct !

Je sais à qui demander ! Oyunbileg, un copain de l’université un peu plus âgé que nous, un

Chapitre 4

ingénieur informaticien qui s’est spécialisé dans les réseaux optiques. C’est un des rares cerveaux qui n’ait pas quitté la Mongolie pour l’appât d’un salaire mirobolant à l’étranger et il travaille à l’Académie des Sciences d’Oulan Bator. Je suis sûr qu’il acceptera de me connecter sur le réseau du labo temporaire. Allez je croise les doigts, euh, au sens figuré vu leur état, et je le contacte.

Le visage décoiffé d’Oyunbileg apparaît et me fait des grimaces sur l’écran. Il rit comme une hyène en regardant mes mains enturbannées et me demande comment je fais pour me curer le nez. Bon l’humour des informaticiens n’est pas forcément à la hauteur de leur intelligence, mais toujours est-il qu’il me promet de se débrouiller pour que j’accède au réseau de caméras sur mon ordi. Il lui faut juste un peu de temps mais il ne précise pas combien. Je le remercie chaleureusement, puis je m’efforce de me concentrer sur la salle de cours de l’université. Mais je sens le rideau de mes paupières s’alourdir, et malgré mes efforts pour rester attentif le rideau s’abaisse et je crois que je finis par sombrer...

Chapitre 4

La musique de Marylin Manson hurle ses imprécations dans mes oreilles et m’arrache brutalement au sommeil. Le cœur battant à tout rompre, je cherche à reprendre à mes esprits et à agonir d’injures le psychopathe qui m’a réveillé aussi sauvagement, avant qu’un rire de hyène ne vienne couvrir puis interrompre la musique. C’est encore une blague pourrie d’Oyunbileg mais je lui pardonne aussitôt que je vois s’ouvrir une fenêtre sur mon écran : ce petit génie a réussi à me connecter au réseau de caméras du laboratoire temporaire au mont Altaï !

En surface du gouffre de glace, on dirait une scène de crime. Des bandes jaunes striées destinées à éloigner les intrus délimitent le champ d’étude des spécialistes. Des équipes de spéléologues extraient des carottes de glace pour les dater, et prélèvent tous les échantillons et indices qui pourraient être significatifs. D’autres, armés d’appareils de radiologie portatifs, prennent des clichés du cheval sous tous les angles. Dans le laboratoire temporaire, des hommes portant masques et tenues de chirurgiens procèdent déjà à des

Chapitre 4

analyses. C’est plus fort que moi, je recherche Jargal. Le voilà, il saisit avec une pince un morceau de tissu à losanges, l’étale sur une plaque de verre avant de découper au scalpel un fragment de ce drôle de tissu. Puis il dépose le prélèvement dans une éprouvette à moitié remplie d’un liquide transparent, qu’il place dans une machine arrondie. Au moment où il referme le couvercle de la machine, j’ai un flash : ce n’est pas du tissu venu du costume d’un clown, c’est la peau du serpent qui contenait mon piolet d’escalade improvisé ! Dans mon souvenir, je le tenais encore dans ma main tétanisée au moment où mon frère est arrivé. Si je le retrouve, je pourrais l’apporter en personne aux scientifiques !

Je déplace l’ordi, et me redresse hors de ma couche en refrénant des grimaces de douleur. Ah, je suis en petite tenue... Je parcours notre yourte du regard, à la recherche du fameux cylindre. A priori il n’est posé sur aucun des coffres en bois, ni sur le grand buffet de ma mère. Peut-être dans le coffre de mon frère ? À petits pas, je me dirige vers le coffre, j’en soulève le couvercle, mais je n’y vois que des vêtements et

Chapitre 4

des vieilles revues. Une de mes petites sœurs aurait-elle « emprunté » mon nouveau jouet ? Non, je ne vois rien que des albums de coloriage, des poupées de tissu et des affaires de filles. Quel idiot, je n’ai même pas regardé dans le mien, de coffre !

Demi-tour, je ahane comme un vieux cheval perclus de rhumatismes et ouvre enfin mon coffre. En surface, mon del nettoyé et recousu ! Ma grand-mère est vraiment incroyable. J’en profite pour l’enfiler, ce del, gauchi par tous ces bandages. Loin du poêle central de la yourte il fait plutôt frais. Je remue les vêtements dans mon coffre et clong ! un objet glisse et retombe au fond avec un bruit mat. Avec mes pattes en forme de nageoires, j’arrive à l’attraper et je l’observe attentivement. Malgré le fait que je l’aie martelé contre la glace, on dirait qu’il n’a pas été trop cabossé. Sur sa surface, des signes étranges sont gravés. Je regarde les extrémités, elles semblent scellées par des bouchons métalliques. Il y aurait quelque chose à l’intérieur du cylindre ?

Chapitre 4

Mon imagination galope plus vite que le vent : le mystérieux cylindre contiendrait-il la carte d’un fabuleux trésor perdu, des diamants bruts, une relique censée apporter pouvoir, célébrité ou fortune ? J’essaie de dévisser les bouchons. Un vrai manchot. Je cogite pour trouver un moyen d’ôter les bouchons de métal. Sûrement pas avec mes ongles. Encore moins avec une hache ou une scie. Faute de mieux, je repère la pince qui sert à saisir les bouses sèches pour les faire brûler dans le poêle. J’attrape la pince et je m’assieds près du poêle, coinçant le cylindre entre mes genoux. Avec mes avant bras, je positionne la pince autour d’un bouchon, je serre et je tente de le faire tourner. La pince dérape, ma prise n’est pas assez stable. Je recommence, encore, encore, jusqu’à ce qu’un hurlement me perfore les oreilles :

- Au feu !

Sans que j’aie le temps de comprendre ce qui m’arrive, des seaux d’eau froide se déversent sur moi et des bras m’arrachent mes vêtements. J’étais tellement concentré sur ma tâche que je ne

Chapitre 4

me suis pas rendu compte que mon del, trop près du poêle, avait pris feu !

- 5 -

Chapitre 5

Ma mère remercie et raccompagne à la sortie de la yourte les voisins venus aider à éteindre le début d’incendie, puis marche vers moi d’un pas courroucé. Je bredouille :

- Pardon mère, je promets que je vais travailler dur pour racheter du tissu pour refaire un del et... Aïe !

Elle m’a flanqué une petite tape derrière la tête et elle me traîne vers l’extérieur de la yourte. Elle me fait assoir de force sur une natte, puis jette une couverture sur mes épaules. Je me retrouve assigné à l’épluchage des légumes avec ma grand-mère, comme quand j’étais petit. Nourrir l’Aïl, les membres de notre clan regroupés par familles dans leur yourte, est de loin la mission la plus héroïque que je puisse accomplir dans l’immédiat, m’a affirmé ma mère d’un ton qui ne permettait aucune discussion. Tandis qu’elle va nettoyer les dégâts dans la yourte, je m’efforce, avec mes pattes malhabiles, d’effeuiller un chou... Bravo, l’Indiana Jones de pacotille !

Chapitre 5

Au loin, j’aperçois mon frère Gambat à cheval, accompagné des enfants les plus âgés de l’Aïl, qui rassemble les moutons pour les rentrer dans l’enclos pour la nuit. Sa vie, il l’a dédiée aux chevaux et aux troupeaux de bétail. S’il m’envie parfois d’habiter la ville, pour les « distractions » offertes comme les bars ou les boîtes de nuit, jamais il ne remettra en question son choix de suivre la voie de notre père. Et moi, même si je ne fréquente pas les lieux de « distraction », et même si chevaucher à perdre haleine dans la steppe restera mon plus grand bonheur, je ne me vois pas endosser ce rude métier d’éleveur. Et j’avoue lâchement que je suis soulagé que mon frère assure la succession... Tiens ? Les chiens de l’Aïl, naseaux dressés vers le sud-ouest, poussent des jappements d’alerte. Est-ce qu’une nouvelle calamité nous menace ?

Des hennissements retentissent au loin, j’entends une cavalcade : des cavaliers se rapprochent de notre campement. Grand-mère se lève, trottine de son pas menu vers notre yourte. Elle va répéter un geste d’hospitalité

Chapitre 5

immémorial, la cérémonie de l’Aïrak, le lait de jument fermenté partagé dans un bol en argent avec les visiteurs. Mais ce ne sont pas n’importe quels visiteurs !

Impatiente, mère court vers les quelques chevaux attachés à la Ouiaa, une corde suspendue entre deux piquets. Elle défait le nœud qui retient le licol de Tarjenjau, sa vieille jument rousse, et sans prendre le temps de la seller, elle empoigne son épaisse crinière et se hisse sur son dos. Trop heureuse de chevaucher, Tarjenjau la « grosse fille » s’envole au galop vers la troupe de cavaliers. Mon père et les hommes de l’Aïl sont de retour !

Cheval contre cheval, mon père enlace ma mère, puis la soulève comme une brindille pour la déposer à califourchon devant lui. J’entends son rire jusqu’ici. Est-ce que moi aussi un jour, j’emporterai la femme que j’aime sur le dos d’Altaïr ?

Avant même de retrouver les siens, chaque cavalier s’occupe d’abord de son cheval. Il le desselle, vérifie ses sabots, le brosse, le flatte avant de lui retirer sa bride et de le

Chapitre 5

laisser partir s’abreuver à la rivière. C’est seulement après que l’homme se tourne vers sa famille, pour embrasser chacun par ordre d’âge. Mes trois petites sœurs arrachent des rires de joie à mon père. Mais lorsqu’il a déposé la grappe de filles au sol, son visage se rembrunit. Il me dévisage, de son regard dur et insondable. J’avale ma salive, je ne peux rien dire avant qu’il ait parlé en premier. Mais aucun mot ne franchit ses lèvres. Lorsqu’il nous tourne le dos et pénètre dans la yourte, je sens comme une boule se former dans ma gorge et mes yeux picotent un peu. Gambat me flanque une amicale tape sur l’épaule avant d’aller vérifier l’enclos des moutons. Je m’en veux de ma sensiblerie et je regarde au loin le soleil qui commence à décliner. Un homme, ça ne pleure pas.

Pendant la nuit, j’entends mon père soupirer et murmurer à ma mère :

- Est-ce qu’il deviendra un homme responsable, un jour ?

- 6 -

Chapitre 6

Mon téléphone vibre dans la poche de mon pantalon. Je pose les seaux remplis d’eau de la rivière et suspendus à mes coudes, pour le saisir le plus adroitement possible. Oui, que fais-je dehors en pleine nuit, avec une couverture sur dos et ma peine en bandoulière ?

Incapable de dormir, je précède le lever du soleil pour apporter l’eau du thé du matin pour ma famille, qu’elle profite d’un réveil en douceur. Ensuite je repartirai pour Oulan Bator. Je pense que ma place est plus là-bas que dans la steppe, quel que soit l’attachement immense que j’aurai toujours pour elle. J’espérais pouvoir parler à mon père, mais il a quitté la yourte pour aller examiner les juments près de mettre bas. J’ignore ce que je pourrais inventer pour obtenir son assentiment, à défaut de sa fierté. Depuis que j’ai rejoint l’université, je ne suis qu’un bon à rien, puisque j’ai suivi une voie différente de la sienne. Bon, j’arrête de ruminer mon amertume et je décroche, ce doit être mon frère Gambat qui s’inquiète de mon absence. Mais quand cessera-t-il de se sentir responsable de moi ?

Chapitre 6

- J’arrive, lui dis-je d’une voix laconique.

Mais ce n’est pas la voix de Gambat au bout du fil. C’est celle d’un inconnu, une voix assurée, au timbre un peu rauque, avec un fort accent anglo-saxon.

- Monsieur Battushig, ici John Fitzgerald Hannibal, de la Hannibal Corp. Je suis votre évolution universitaire de très près. Félicitations pour le MIT...

Je manque d’en lâcher mon téléphone. La Société américaine Hannibal Corp., qui a fait fortune grâce à son leadership dans le domaine des innovations scientifiques, est le mécène principal de l’université nationale de Mongolie et de l’Académie des sciences d’Oulan Bator. Presque tout notre équipement scientifique et informatique a pu être financé grâce aux dons généreux de cette société, qui encourage ainsi les étudiants de nombreuses nations peu favorisées. Les étudiants les plus brillants ont parfois la chance d’être embauchés par la Hannibal Corp. Je sais que quelques anciens étudiants de notre université ont

Chapitre 6

eu ce privilège et le professeur Temudjin ne manque jamais de nous nous citer en modèle Khubilaï, devenu responsable des réseaux et de la sécurité informatique de cette société. Je n’arrive même pas à imaginer que je puisse faire partie de ces élus ! Je suis tellement sonné que je ne parviens qu’à bégayer un immonde :

- Haha....

- Monsieur Battushig, je n’irai pas par quatre chemins.

Ça y est, mon cœur va s’arrêter de battre. Je me vois déjà sur les sentiers de la gloire et ma joie se mêle à une terreur sans nom : je ne serai jamais à la hauteur des attentes de Monsieur Hannibal !

- Lors de votre chute dans le mont Altaï, auriez-vous trouvé un objet cylindrique ?

Ah. Je retombe de mon nuage. Ce n’est donc pas mon potentiel de futur scientifique qui l’intéresse, mais le cylindre en métal qui m’a servi de piolet d’escalade. Avec l’incendie de mon del puis le retour de mon père, le cylindre mystérieux m’était complètement sorti de la tête.

Chapitre 6

- Oui Monsieur, finis-je par articuler. Je pensais le remettre au personnel du laboratoire temporaire.

- Excellent. Mais je vais vous éviter cette peine. Dans moins d’une heure, un hélicoptère va venir se poser près de votre campement, et vous remettrez l’objet au pilote. Rétablissez-vous bien !

Et la communication est coupée. Il n’a même pas demandé où se situait notre campement. Evidemment, le GPS de mon téléphone lui a déjà fourni toutes les coordonnées. Ou alors un drone privé m’observe depuis le ciel. Et tout ça pour un tube de métal ridicule. Je me sens tellement bête, d’avoir pu croire un instant que je pouvais toucher les étoiles...

Les étoiles ! Bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé avant ? Comme frappé par la foudre, j’abandonne les seaux et je cours à perdre haleine vers la yourte. Je lance la couverture sur mon lit puis j’ouvre mon coffre en faisant le moins de bruit possible. Ma mère y a sûrement mis le cylindre. Oui ! Je l’emporte hors de la

Chapitre 6

yourte et je cours me réfugier sur un tertre rocheux, pour observer à loisir ce mystérieux objet à la lueur des étoiles. Avant de le donner au pilote, j’ai bien envie d’en garder un souvenir. Toujours aussi maladroit avec mes mains, je parviens quand même à le prendre en photo avec mon téléphone, sous tous les angles, avant de le saisir dans mes mains et de le faire rouler lentement sous mes yeux. Car dans la masse des signes gravés dessus, je crois bien que j’avais repéré une étoile...

C’est une étoile bien singulière, une étoile à cinq branches, située à mi-hauteur du cylindre. Et sa jumelle, en symétrie parfaite, en opérant un demi-tour au cylindre. Comme magnétisé par ces deux symboles ancestraux, je saisis délicatement le cylindre entre mon pouce et mon index, chaque extrémité des doigts posés sur les étoiles. Je positionne le cylindre à l’horizontale, il est en équilibre parfait. Et comme je resterai toujours un grand enfant, je fais osciller ma main de haut en bas pour obtenir cette célèbre illusion optique des magiciens, la baguette magique molle. La baguette magique danse et ce spectacle m’arrache des sourires de gosse, j’en oublierai presque pourquoi je suis assis là sur un tas de neige.

Chapitre 6

Soudain, un souffle chaud dans ma nuque m’arrache à ma séance d’autohypnose. Dans ma surprise, je sursaute et presse fortement le cylindre pour l’empêcher de tomber. Je me retourne joyeusement vers l’auteur de ce souffle que je reconnaîtrais entre mille, mon Altaïr, mais à cet instant, un cliquetis fait tressaillir ma main et requiert mon attention. Alors qu’Altaïr me donne des petits coups de tête pour échanger un câlin, je le repousse d’une main et me concentre sur le phénomène qui vient de se produire. Comme mu par un système d’horloge interne, l’un des deux « bouchons » du cylindre se soulève. Les mains tremblantes, je retire le bouchon pour regarder ce qu’il y a à l’intérieur ...

Outre le mécanisme d’ouverture, subtil engrenage de fines barres métalliques et de taquets, un deuxième objet cylindrique se trouve à l’intérieur !

- 7 -

Chapitre 7

Je me demande combien de cylindres se cachent à l’intérieur du premier. Serait-ce un système de Matriochkas, les poupées russes qui s’emboîtent les unes dans les autres ?

Le deuxième cylindre semble fait d’os, au vu des striures parallèles et sombres qui le parcourent. Il est transpercé dans le sens de la longueur. Je le lève vers la lueur des étoiles pour voir si un objet se cache en son centre. La lumière ne filtre pas mais je ne distingue rien de précis au centre du cylindre. Je le secoue pour en faire tomber l’éventuel contenu, mais toujours rien. J’applique mes lèvres sur une extrémité et je souffle dedans comme s’il s’agissait d’une flûte. L’air passe mais j’ai l’impression que ce qui se trouve à l’intérieur ralentit la circulation de mon souffle. Il me faudrait une tige en métal ou un fin bâtonnet pour le glisser dans le canal et évacuer son contenu. Mais ici, à part la neige, il n’y a rien qui peut me servir. Je ramène le cylindre d’os devant mes yeux et je le fais tourner lentement. Des ciselures recouvrent ses parois externes, encore de mystérieux signes. Là

Chapitre 7

je devine la tête d’un cheval, surmontée d’une étoile, à cinq branches à nouveau. Je recherche la présence d’une autre étoile, histoire de retenter ma chance au cas où ce cylindre s’ouvrirait comme le premier, mais je n’en trouve aucune autre. On ne gagne pas à tous les coups ! Je poursuis mon examen. Des séries de signes, des lettres et des nombres sûrement, mais dont la disposition et le graphisme ne m’évoquent rien de connu. Je sens que je vais rester sur ma faim avant de devoir confier l’objet au pilote...

- Hey ! Mais qu’est-ce qui te prend, Altaïr ?

Mon cheval me broute les cheveux, je crois que c’est ce qu’il a trouvé pour attirer mon attention. Et maintenant il tente de téter mon oreille !

- Hey ! Arrête ça chatouille !

Je me contorsionne et en perds le cylindre d’os, qui roule sur la neige, laissant une vague empreinte rectangulaire. À quatre pattes, je le récupère, tandis qu’Altaïr me mordille l’arrière train. Je le repousse pour parvenir à

Chapitre 7

glisser le cylindre d’os dans celui en métal, et en pressant à nouveau les deux étoiles je réussis à refermer le bouchon. Puis je glisse le cylindre dans la poche de mon pantalon, en compagnie de mon téléphone, avant de me relever et de pousser un terrible grognement de défi à Altaïr.

- Tu veux jouer ?

En réponse à mon défi, Altaïr se cabre et boxe des antérieurs, avant de retomber face à moi, l‘œil brillant et les oreilles dressées, les muscles tendus, prêt à partir au premier signal. Je le fixe droit dans les yeux, immobile, avant de sauter sur le côté pour lui flanquer une légère tape sur la croupe. Je tournoie sur moi-même pour échapper à la bourrade qu’Altaïr s’apprête à me flanquer en retour, je le connais par cœur ! J’ai assisté à sa naissance difficile, je lui ai donné le biberon les premiers jours, quand sa mère n’arrivait pas à le nourrir, je me suis souvent endormi tout contre lui. Nous ne nous quittions pas. Mon père a soigné la mère d’Altaïr, avec des emplâtres et des bouillons d’herbes de sa connaissance, et l’a encouragée à laisser le petit

Chapitre 7

prendre la mamelle. Elle avait tellement souffert pendant l’accouchement, elle était tellement affaiblie qu’elle refusait que le poulain s’approche d’elle. Mais je n’ai jamais vu un cheval résister longtemps à mon père et elle a fini par accepter son petit. J’en ai voulu à l’époque à mon père de me séparer d’Altaïr, avant de comprendre que c’était pour le bien du petit cheval. Mais ce lien particulier que nous avions créé a perduré et Altaïr, aujourd’hui majestueux étalon, continue à jouer avec moi comme quand il était jeune poulain, et mon cœur s’inonde de bonheur quand nous partageons cette complicité.

J’évite encore une bourrade et je pique un sprint, aussitôt rattrapé par Altaïr qui me dépasse et pile face à moi. Je simule une échappée sur un côté pour partir de l’autre, mais Altaïr lui aussi me connait bien et il anticipe mon intention, me barrant la route. Nous tournoyons et dansons un moment avant que mon étalon me déséquilibre et me fasse rouler comme une crêpe dans la neige, tel le cylindre d’os qui m’avait échappé des mains. J’éclate de rire :

Chapitre 7

- Tu as gagné !

Altaïr caracole de fierté, avant de se rapprocher de moi et de me pousser du bout du nez. Toujours allongé, j’enlace son encolure et lui souffle mon haleine sur son toupet. Altaïr se laisse doucement tomber au sol près de moi, il me lance une invitation que je ne saurais refuser. Je me plaque contre son dos, passe une jambe au dessus de son flanc et, d’une souple impulsion, Altaïr se relève, m’emportant sur son dos pour une grisante chevauchée. Dans des moments pareils, le temps s’arrête et plus rien d’autre ne compte que cette intense communion.

Mais la réalité vient me rappeler quand un vrombissement de moteur s’amplifie rapidement. Au travers des rayons du soleil levant, un point grossit dans le ciel, et se rapproche de nous à vive allure...

- 8 -

Chapitre 8

Je me redresse sur le dos d’Altaïr pour ralentir son galop et de la voix, je lui demande de repasser au trot puis au pas. Mon cheval secoue la tête de contrariété tout en soufflant bruyamment. Nous reprenons notre souffle tandis que l’avion se rapproche et se pose sur la neige dans un bruit feutré, à quelques mètres de nous. En alerte, Altaïr observe l’intrus en humant l’air et en faisant pivoter ses oreilles dans tous les sens. Ses muscles tressaillent, prêts à affronter ou à fuir cet éventuel prédateur. Je l’apaise d’une caresse et de la voix mais je le sens toujours sur le qui-vive. J’observe ce petit avion doté de skis, fuselé, d’un modèle plus proche d’un jet à la James Bond que du gros hélicoptère que j’attendais. Le sigle de la Hannibal Corp., Un H majuscule inscrit dans un triangle équilatéral, se distingue sur le flanc de l’appareil. Les moteurs s’arrêtent en ronronnant et la fenêtre latérale du cockpit se soulève, tandis qu’une rampe coulisse silencieusement vers le sol.

Le pilote défait son casque, enfile des lunettes de soleil et s’avance sur la rampe.

Chapitre 8

D’une pression des mollets, j’encourage Altaïr à nous rapprocher de l’individu mais mon cheval plante ses quatre sabots dans la neige et refuse de bouger. J’insiste, en vain, et je finis par mettre pied à terre pour aller seul à la rencontre du pilote. Dans mon dos, je perçois la tension et la méfiance de mon cheval qui trépigne. Je tente de le rassurer de la voix mais il continue de trottiner d’avant en arrière. Je me concentre sur l‘individu de grande taille qui avance vers moi. Malgré une légère claudication, une assurance incroyable émane de lui, et pas seulement à cause de ses élégants vêtements de facture occidentale, en texture légère et chaude à la fois, et de coûteuses chaussures de montagne. Il porte une épaisse chevelure noire et une barbe poivre et sel soigneusement taillée. Nous nous rapprochons lentement, tels deux cowboys dans un western, ne quittant pas l’adversaire du regard. Par réflexe, j’ai mis la main gauche dans la poche de mon pantalon et je serre convulsivement le cylindre comme s’il s’agissait d’un colt. Nous voilà face-à-face, comme pour un duel final... Je me sens terriblement oppressé. Qui va dégainer en premier ?

Chapitre 8

Le pilote tend sa main gantée dans ma direction, comme pour me serrer la main, et je tends la mienne par réflexe de courtoisie. Mais la position de sa main me détrompe vite sur ses intentions. Paume à plat, il me demande de lui remettre l’objet qu’il est venu chercher. Ma main droite retombe mollement et à contrecœur, je sors la main gauche de la poche de mon pantalon pour déposer le cylindre dans la paume tendue. Le pilote se désintéresse de moi pour observer avidement l’objet. Un rictus se dessine sur ses lèvres tandis que ses doigts se referment sur le cylindre et que derrière ses verres solaires, son regard bleu glacier remonte vers le mien. C’est seulement quand il prononce quelques mots de sa voix rauque, avec cet accent si reconnaissable, que je réalise que c’est John Fitzgerald Hannibal en personne qui est en face de moi !

- Je vous suis très reconnaissant. Cet objet est très précieux... pour la science.

J’ai envie de lui poser plein de questions, pour en savoir plus sur ce cylindre, la signification des signes gravés, son

Chapitre 8

origine, mais je reste planté là, la bouche ouverte comme un stupide poisson. Quand Hannibal me tend une épaisse enveloppe, je secoue la tête en dénégation et je bredouille :

- Non non, pas la peine, c’est c’est... la science avant tout.

Hannibal s’esclaffe et tente de fourrer de force l’enveloppe dans ma chemise. À cet instant, me croyant sans doute agressé, Altaïr surgit et charge violemment Hannibal qui trébuche et s’écrase au sol. Sa charge n’est pas une bourrade comme quand il joue avec moi, mais une attaque en règle. Naseaux écarquillés, oreilles couchées en arrière, il est prêt à mordre, à piétiner mon assaillant sans pitié. Je me précipite vers Hannibal pour l’aider à se relever mais l’expression qui se dessine sur son visage me glace le sang et me fait reculer.

Hannibal est devenu livide, il se relève, le visage haineux, et sort de la poche intérieure de son blouson une fine matraque télescopique qu’il déploie d’un coup sec. Il lève le bras et fouette Altaïr avec une violence insoupçonnable. Une longue

Chapitre 8

zébrure sanguinolente se dessine sur l’encolure de mon cheval. Sans réfléchir, je me jette entre Altaïr et Hannibal, bras levés, prenant un coup de matraque sur le côté du visage à la place d’Altaïr :

- Arrêtez ! S’il vous plait ! Il ne vous fera aucun mal !

Hannibal serre les dents et ses narines palpitent. Une de ses joues est saisie d’un tic et tressaute. Je pose doucement ma main sur l’encolure d’Altaïr et lui murmure des mots d’apaisement, sans quitter Hannibal du regard. Lentement, Hannibal articule:

- Qu’il ne s’avise plus jamais de s’approcher de moi.

Ma main remonte de l’encolure d’Altaïr à son front, je le pousse en arrière tout en sifflant une trille aigue et à ce signal, Altaïr recule, fait demi-tour et s’écarte d’un trot vif, la queue dressée en panache et les oreilles couchées, pour s’arrêter à distance respectueuse. Je sais qu’il est furieux, qu’il est prêt à attaquer au moindre geste suspect, mais je sais aussi qu’il accepte de

Chapitre 8

m’obéir. Hannibal baisse son arme, sans pour autant la rengainer. Il recule vers son avion, remonte la rampe et claque d’un coup sec la fenêtre du cockpit derrière lui. L’avion repart aussitôt les moteurs démarrés, accompagné des hennissements rageurs d’Altaïr. Une terreur rétrospective m’envahit et mes jambes se mettent à trembler comme des feuilles dans le vent. Je me donne des claques pour me ressaisir et me dire qu’on a échappé au pire. Je respire profondément et me dirige vers mon cheval en chevrotant :

- Je... je... On rentre.

Sans un regard pour les billets qui s’envolent de l’enveloppe abandonnée par Hannibal, je frotte la plaie d’Altaïr avec une poignée de neige pour la nettoyer. Puis je rentre au campement au pas, complètement abattu et bouleversé par cette rencontre, comme un pauvre cowboy solitaire...

Quand j’arrive au campement, tout le monde est réveillé depuis bien longtemps et chacun s’affaire à sa tâche sans me prêter d’attention. Altaïr part s’abreuver à la rivière et moi, le cœur lourd, je

Chapitre 8

m’introduis dans la yourte déserte et récupère quelques affaires et mon ordinateur pour retourner à Oulan Bator. Si je me presse, je pourrai attraper le seul bus de la journée. Il faut que je parle avec quelqu’un de ce que j’ai vécu, mais dans ma famille je crains que personne ne puisse m’aider...

- 9 -

Chapitre 9

- Tu es trop bête, tu aurais du prendre les billets ! Tu aurais pu au moins te racheter un del avec !

Après ces heures de trajet interminables, pendant lesquelles je n’ai pas pu fermer l’œil, la réplique de Salonqa me blesse au plus haut point. Elle qui est si fine d’habitude ne comprend pas que je ne peux rien accepter venant d’un individu comme Hannibal. Sous ses airs de bienfaiteur de l’humanité, ce type doit être un grand malade pour avoir frappé Altaïr comme un sauvage. Je me serais senti sale si j’avais accepté son argent.

Salonqa pousse un grand soupir et baille copieusement, me rappelant brutalement que je l’ai réveillée au début de son sommeil. Puis elle se dirige vers sa salle de bains et revient avec du produit antiseptique, du coton et des pansements. Elle pousse une chaise du pied et me la désigne d’un geste du menton :

- On dirait que tu t’es battu avec un ours. D’abord on nettoie tout ça et après, tu me montreras ces photos du cylindre. Si Hannibal est

Chapitre 9

venu le chercher en personne, c’est qu’il y accorde une sacrée valeur.

- Ça pique !

- Quelle chochotte ! Allez, c’est déjà fini.

Puis quand Salonqa s’empare de mon téléphone et fait défiler les photos, en quelques secondes, sa mauvaise humeur s’efface pour laisser place à une curiosité intense :

- C’est incroyable !

Puis elle fouille dans le tiroir de son bureau et me tend un bloc-notes et un crayon :

- Dommage que tu n’aies pas pris en photo le cylindre d’os, ça nous aurait sûrement aidés à y voir plus clair. Mais sers-toi de ta mémoire et dessine tout ce dont tu te rappelles, la tête de cheval et les autres gravures.

Oui chef ! Pendant que je gribouille comme un écolier de maternelle en serrant le crayon dans ma paume, Salonqa envoie mes photos sur son ordi. Elle définit un rectangle, qui une

Chapitre 9

fois enroulé sur lui-même et modélisé en 3D reproduit l’aspect du cylindre original. Elle m’impressionne.

Salonqa examine ma reproduction, la scanne et lui fait subir les mêmes ajustements que pour les photos :

- Ça ressemblait à ça ?

- À part que je dessine comme une chèvre atteinte de Parkinson, oui, à peu près.

Salonqa réfléchit intensément. Puis elle plonge son regard ardent dans le mien :

- Une langue ancienne et des symboles étranges. On va avoir besoin d’aide pour déchiffrer tout ça. OK pour demander au « Réseau » ?

Le Réseau... Ce sont tous les internautes, anonymes ou célébrités dans leur domaine, qui nous ont filé un coup de main pour construire notre système d’apprentissage pour les enfants nomades mongols. On y trouve toutes les nationalités, tous les savoirs, toutes les questions et toutes les entraides possibles. Alors oui pour chercher des réponses !

Chapitre 9

Pendant que je prépare du thé bien fort, j’entends Salonqa pianoter sur son clavier comme une guerrière. Quand elle décide de s’atteler à un projet, rien ni personne ne peut résister à sa volonté et son énergie... Je la devine, les sourcils froncés, elle souffle impatiemment sur les cheveux qui retombent sur son visage. Ses longs doigts fuselés dansent et parfois viennent replacer une mèche derrière son oreille. Elle dit qu’un jour elle va tout raser et je prie qu’elle ne le fasse jamais, je suis fou de cette chevelure folle, de ces boucles acajou qui volent la lumière, je voudrais les caresser pendant des heures et me noyer dans leur parfum. Mais je reste planté là comme un idiot, hypnotisé par son dos, les deux tasses de thé brûlant mes paumes, jusqu’à ce qu’elle appuie énergiquement sur « Enter » et recule son siège, étirant sa nuque et ses bras en arrière, les doigts écartés comme les cinq branches d’une étoile.

Elle se redresse et s’avance vers moi pour prendre une tasse de thé :

Chapitre 9

- Merci ! Mais pourquoi tu me fixes comme ça, j’ai de l’encre sur le visage ou quoi ?

Bien sûr, je suis incapable de lui dire à quel point elle me fascine et combien je l’aime. À la place, je détourne le regard tour en me sentant rougir jusqu’à la racine des cheveux et lui demande :

- Tu as un miroir ?

- 10 -

Chapitre 10

Après une réflexion aussi débile, une autre fille m’aurait giflé, ou serait partie en courant vérifier son apparence dans un miroir. Mais Salonqa, elle, me répond avec son humour légendaire :

- Oui, dans mon sac à dos. Pourquoi, tu as décidé de te mettre du rouge à lèvres ?

Pendant qu’elle s’étirait sur sa chaise, le visage à l’envers et ses étoiles de mains tendues vers moi, j’ai eu une vision subite : et si on s’y était pris à l’envers pour déchiffrer les gravures du cylindre d’os ? Je revois le cylindre lorsqu’il m’avait échappé des mains, laissant une trace rectangulaire dans la neige tassée et lui explique mon idée :

- Les gravures sont en relief. Si on roulait le cylindre sur une plaque de cire, ou une tablette d’argile fraîche, comme faisaient nos ancêtres aux débuts de l’écriture, les empreintes obtenues seraient...

- ...à l’envers, comme dans un miroir !!!

Chapitre 10

Au lieu d’aller piocher son miroir dans son sac, Salonqa se précipite sur l’ordi et demande une rotation miroir des images. Et là, elle pousse un cri de surprise :

- C’est une façon géniale de transporter un message écrit. Plus facile à dissimuler, beaucoup moins encombrant et nettement plus résistant qu’une tablette d’argile ou un parchemin. Et avec la rotation, les lettres, on dirait presque du grec ancien, ça forme des grappes de mots, et ces symboles géométriques qui s’entremêlent... Mais quels secrets se cachent derrière tout cela ???

Comme pour confirmer mon intuition, nous recevons un message de Talila, une étudiante australienne en arts primitifs, accompagné des photos d’un morceau de tissu coloré conservé sous verre, et d’un cylindre grisâtre avec des gravures en relief assez proche du notre. Un axe est passé en son centre, et des pigments de couleur trônent dans des godets en argile cuite à côté. Son message est légèrement moqueur :

Chapitre 10

« Hey les jeunes, si vous pensiez inventer l’impression de motifs ethniques récurrents sur du tissu pour lancer une nouvelle mode, sachez que le brevet a été déposé il y a plus de 2.500 ans en Phénicie ! Et faites appel à un dessinateur professionnel pour la création des dessins, à moins que vous n’ayez opté volontairement pour la tendance « naïve » !  »

Salonqa lui renvoie un merci chaleureux avant de se tourner vers moi avec une étincelle de défi dans les yeux :

- Si j’imagine que j’ai une tablette d’argile et que je roule le cylindre d’os dessus, j’imprime le message secret. Mais comment je sais dans quel sens je dois le lire, et ce que ces symboles signifient, si je n’ai pas le « décodeur » ?

Ah là là, ça recommence. Je suis informaticien, expert en codage de données, et pas pirate pour craquer des codes secrets ! Tous les copains me sollicitent pour pouvoir visionner des films et des séries à volonté, ou pour jouer gratuitement sur des jeux, et moi

Chapitre 10

je ne sais pas dire non. Mais là c’est une autre paire de manches. Comment entrer dans la tête de gens qui ont vécu il y a si longtemps et comprendre leur système de codage ? Mais quand le regard de Salonqa se fait velours et sa main patte de chat sur mon épaule, je ne peux pas résister. Je miaule :

- J’ai vraiment besoin de situer la réalisation de cet objet dans le temps, que je sache mieux par où commencer. Tu peux solliciter des spécialistes des langues anciennes et des historiens de l’Antiquité ?

Salonqa me répond d’un sourire lumineux et me tend mon ordi :

- Je t’ai déjà envoyé les images, tu peux t’y mettre !

Puis elle nous sert une nouvelle rasade de thé. La nuit ne fait que commencer !

- 11 -

Chapitre 11

Avant de me coller à ce décryptage archéologique, je pense très fort au moment où j’ai découvert le premier cylindre, dans son enveloppe partielle de peau de serpent. Puis la vision surréaliste du cheval de glace envahit mon esprit. Y aurait-il un lien entre ce cylindre et le cheval ? Quand je me suis connecté sur les caméras du laboratoire temporaire situé près du lieu de ma chute, Jargal le séducteur examinait cette peau de serpent. Il faut que j’arrête d’être bêtement jaloux pour me recentrer sur l’enjeu des découvertes du labo. Je vais voir où ils en sont. Et vu la vitesse du jet de Hannibal, les scientifiques doivent être déjà en possession du cylindre de métal et peut-être ont-ils déjà percé le mystère des messages secrets qu’il renferme ?

Je me branche vocalement sur les caméras du labo temporaire et me concentre sur la section qui s’occupait de la peau de serpent. Tiens, on dirait que les analyses ont bien avancé car de nombreuses personnes sont réunies autour de la paillasse de Jargal. Non, ils regardent un écran, sur lequel la peau de serpent, qui a été étirée et

Chapitre 11

plaquée entre deux grandes lamelles de verre, révèle sa face externe, avec ses écailles aux motifs en losanges. Un scientifique, à priori un herpétologiste, spécialiste des amphibiens et reptiles, donne les résultats de son étude :

- Ce spécimen, de la famille des Vipera Ammodytes Meridionalis, hautement venimeuses, a vécu il y a 2300, 2400 ans environ d’après nos premières estimations. Selon nos bases de données, il est impossible qu’il soit originaire des terres mongoles ou des zones limitrophes, puisque son espèce est endémique des îles grecques. Il a été « importé », très vraisemblablement post-mortem, d’autant que vous voyez là la trace d’une coupure quasi chirurgicale. Les organes internes ont été retirés pour être remplacés par... autre chose. Un objet au maximum long de 20 cm sur un diamètre de 3 cm. Puis la peau a été raclée avant de subir un traitement au sel pour la purifier et la conserver. Ensuite elle a été perforée sur ses bordures et recousue par-dessus l’objet caché dans la longueur du corps...Vous dites qu’aucun objet correspondant n’a été retrouvé pour l’instant ?

Chapitre 11

Je suis outré ! Hannibal ne leur a donc pas confié le cylindre ??? Lui qui est LE défenseur de la science, il l’aurait conservé pour lui ???

Mais je n’ai pas le temps de m’offusquer d’avantage car mon regard est captivé par ce qui se passe sur l’écran. La plaque de verre subit une rotation pour exhiber sa face interne. En plissant les yeux, je découvre que quelques-uns des signes, dont les deux étoiles, gravés sur le métal du premier cylindre, ont laissé sur la peau des traces fantômes !

- Eh bien mes confrères linguistes et symbolologues vont pouvoir prendre la relève ! conclut l’herpétologiste. Je serais honoré d’être tenu informé de la suite de vos recherches...

Mon premier réflexe serait d’envoyer au labo les images que Salonqa a modélisées, mais j’ai été tellement choqué par la violence d’Hannibal, et la menace que son immense pouvoir notamment financier représente, que je reste tétanisé comme quand j’étais enfant, que j’avais fait une bêtise, et

Chapitre 11

que mon père se mettait dans une colère noire. Un jour il faudra que je grandisse et que je ne laisse plus impressionner, mais pour l’instant j’en suis réduit à imaginer les représailles d’Hannibal s’il découvrait que j’ai transmis les images au labo. Mais qu’est-ce que je dois faire ?

Heureusement que Salonqa s’extrait de ses recherches pour faire le point avec moi, cela me sort de ma prostration :

- D’après Anguélos Keusséoglou à Athènes, les lettres évoquent l’un des nombreux dialectes du grec ancien. Cela remonterait au milieu du IVe siècle avant notre ère. Il pense reconnaître l’ionien-attique, la langue officielle de la cour macédonienne essentiellement, mais il souhaite approfondir ses recherches pour s’en assurer.

- La Macédoine, c’est une région au nord d’Athènes si mes souvenirs sont bons. Et qu’est-ce qu’il comprend de sa première lecture ?

- Ce serait une sorte d’incantation protectrice envers le fils de Zeus, ou le cheval de Zeus. Et

Chapitre 11

l’incantation serait assortie de menaces terrifiantes envers les voleurs. Ce n’est pas très clair pour l’instant. Et toi, tu en es où ? rajoute-t-elle en s’asseyant à côté de moi pour regarder mon écran.

Avec un nœud dans la gorge, je lui raconte ce que j’ai appris sur la peau de serpent, confirmant la datation estimée par Monsieur Keusséoglou. Mais surtout, je lui révèle le forfait de Hannibal, et mes craintes sur l’utilisation personnelle qu’il semble vouloir faire du cylindre. Salonqa fait une moue dubitative :

- À part collectionner des curiosités archéologiques, pour l’instant je ne vois pas ce qu’il pourrait en faire. Au fait, à part son côté homme d’affaires international et mécène des sciences, je ne sais pas du tout qui est ce Hannibal. Tu t’es un peu renseigné ?

Je secoue la tête en signe de dénégation. Salonqa frotte ses paupières avant de retourner à son ordi :

- Voyons ce qu’en dit le Net. Peut-être que cela suffira à dissiper ton début de parano !

Chapitre 11

Sincèrement, j’espère que Salonqa a raison. Mais au fond de moi, un étrange malaise persiste. Que cache Hannibal derrière sa façade si parfaite ?

- 12 -

Chapitre 12

Pendant que Salonqa se renseigne sur Hannibal, je retourne rôder sur les caméras du labo.

- Tu ne vas pas me croire ! m'étranglai-je soudain.

- Quoi ? Qu’as-tu découvert encore sur l’abominable Hannibal ?

- Les spéléologues ont trouvé le cavalier du cheval de glace au fond du gouffre où j’ai échoué ! Regarde ces images !

Par l’œil des caméras frontales sur les casques des spéléologues, nous découvrons le fond de la faille rocheuse dans lequel le malheureux cavalier a fini.

Salonqa s’assied à côté de moi et glisse son bras sous mon coude en se serrant contre mon épaule :

- Dire que tu aurais pu finir comme ça...

Si ce n’était une vision aussi tragique que ce corps désarticulé, figé dans la glace, j’en aurais profité pour enlacer

Chapitre 12

Salonqa, l’embrasser dans le cou, remonter dans ses cheveux, frôler ses lèvres, et...

- Tu as vu ça ? s’écrie-t-elle soudain en se détachant de moi pour poser la pointe de son index sur l’écran.

Ne me dites pas qu’elle a encore flashé sur le sourire ultra-bright de Jargal ! Quoi qu’il en soit, je suis encore passé à côté de ma chance. Parfois je regrette que Salonqa soit aussi intelligente et curieuse de tout. S’il s’était agi d’une autre fille, sans doute aurait-elle cédé depuis longtemps à mon charme inénarrable. Mais d’un autre côté, comment pourrais-je m’intéresser à une autre fille que Salonqa ?

- Il a encore son armure sur sa tunique, et il n’a plus qu’une sandale, le pauvre.

C’était donc le cavalier qui l’intéressait. Je devine une épée sur le flanc de ce guerrier d’un autre âge, puis une guêtre le long d’un mollet, au dessus de la sandale. Je m’imagine un court instant monter Altaïr en sandales dans la neige et un frisson involontaire me

Chapitre 12

parcourt. Comparé à ces soldats d’autrefois, je suis vraiment une mauviette...

- Remontez. Ne touchez à rien, nous envoyons une autre équipe.

L’ordre claque et les spéléologues quittent le lieu de la découverte. À mon grand regret, les images de leurs caméras se détournent du cavalier et remontent le long des aspérités rocheuses, plantées de cordes, mousquetons, dégaines et systèmes d’ancrage.

Dans le labo, des discussions passionnées fusent. L’un parle de découverte historique majeure, de prix Nobel, l’autre de communication aux médias, quand le responsable de laboratoire demande le silence. Il annonce d’une voix lugubre :

- On replie tout. Le gouvernement vient de confier à la Hannibal Corp. la suite des opérations.

Dans le brouhaha de commentaires déçus, je distingue une voix désabusée :

Chapitre 12

- Ils vont envoyer l’artillerie lourde et s’attribuer tout le mérite. Découper dans la montagne et emporter nos découvertes dans leurs avions réfrigérés jusqu’aux Etats-Unis. Et nous...

Salonqa me dévisage longuement :

- Tu pars quand exactement pour le Massachussets ? Je te signale juste que l’une des filiales de la Hannibal Corp. est LE spécialiste mondial de la cryogénisation, et se situe à quelques kilomètres du MIT.

Je réalise soudain que je n’ai aucune envie de partir aux Etats-Unis, alors que Salonqa restera en Mongolie. Je suis catastrophé par cette perspective.

- Je... Comme la majorité est à 21 ans aux US, il me faut l’accord de mon père.

- Et ?

- Je ne le lui ai pas encore demandé, répond-je piteusement. Mais Salonqa, je...

Chapitre 12

- Honte sur ta tête ! s’indigne Salonqa en se dressant droit devant moi, déesse courroucée aux yeux lançant des éclairs et poings posés sur ses hanches. Allez hop ! Tu prends tes cliques et tes claques et tu retournes de ce pas chez toi. Quand on a la chance de pouvoir poursuivre des études au top, rien d’autre ne doit compter !

Et voilà, elle m’a claqué la porte au nez. Je suis un gros nul !

- 13 -

Chapitre 13

Je quitte la résidence d’étudiants le cœur lourd. Je devrais profiter des heures qui me restent avant le lever du jour pour dormir, mais mon cerveau carbure à un tel régime que je me sens incapable de céder au sommeil. Je déambule dans les rues désertes, au milieu des immeubles de béton tous semblables, bâtis par les soviétiques dans les années 1970. Par habitude, mes pas m’entraînent vers l’université. J’entre par la porte de la bibliothèque avec ma carte magnétique, dans ce lieu de recherche ou de refuge pour les étudiants insomniaques. Il n’y a personne. Je me dirige vers le rayon Histoire, je parcours les repères jusqu’à la section Antiquité, puis de mon index au pansement en charpie parcours la tranche des ouvrages alignés. Trouverai-je dans ces vieux ouvrages des clés pour comprendre ce que ce cavalier de l’antiquité faisait en Mongolie, dans les sommets de l’Altaï ?

- Le sommeil te fuit, jeune Battushig ?

Je pousse un cri de surprise et me retourne en direction de l’endroit d’où provient la voix. Derrière une

Chapitre 13

montagne de livres posés sur une table, je reconnais un certain crâne dégarni.

- Professeur Temudjin !

- Viens t’assoir avec moi et partager tes questions. J’ai du thé dans mon Thermos.

Après quelques gorgées de thé salé, je finis par articuler quelques mots incompréhensibles. Le sourire bienveillant de mon professeur s’élargit et il hoche la tête pour m’encourager à poursuivre. Et là la digue se rompt. Je lui raconte mes peurs, celle de quitter tout ce que je connais pour découvrir l’Amérique, celle de ne pas être à la hauteur, celle d’affronter mon père... Quand la source se tarit, le regard de mon professeur parcourt les rayonnages de la bibliothèque avec une sorte d’affection :

- C’est intéressant que tu sois venu chercher des réponses ici, au milieu des vieux livres. Mais tu sais, "le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page", disait Saint Augustin au Vème siècle, un philosophe et théologien chrétien d'origine berbère...

Chapitre 13

Je hoche la tête, mon professeur connait ma soif d’apprendre et de donner le meilleur de moi-même. Pendant qu’il nous ressert du thé, il me questionne :

- Qu’est-ce qui t’attirait vers les écrits de l’Antiquité ? Un subit besoin de sagesse ?

- Oh non, professeur. Je vais vous expliquer, poursuis-je en ouvrant mon ordinateur pour lui montrer les photos des cylindres.

Et en un flot ininterrompu de paroles, je lui raconte toutes mes découvertes, avec aussi l’aide de Salonqa. À l’évocation de son prénom, les yeux de mon professeur pétillent mais il s’abstient de tout commentaire et continue de m’écouter attentivement. Quand j’ai terminé, il reste silencieux un long moment. Puis il prononce un prénom :

- Khubilaï. C’est un de nos plus brillants anciens élèves, et il travaille pour la Hannibal Corp. Il a mis en place le système de sécurité informatique de la société. Mais je crois que je vous en ai déjà

Chapitre 13

parlé, assez souvent, même. Veux-tu que je vous mette en relation ? Cela pourrait t’éviter de tenter une « effraction » risquée. La Hannibal Corp. est une pieuvre dangereusement informée et puissante.

J’accepte avec reconnaissance. Puis mon professeur sort de son vieux cartable quelque chose d’emballé dans du papier gras :

- Mange. Tu as besoin de forces pour repartir dans la steppe.

Je tente vainement de refuser, je sais que j’ai perdu d’avance. Alors je le remercie, je m’incline respectueusement et je quitte la bibliothèque. Je traverse à nouveau la ville, qui se réveille doucement, pour me rendre au départ du bus. Cela m’a fait du bien de discuter avec mon professeur. Et maintenant, reste à affronter mon père !

Mais quand j’arrive enfin au campement de ma famille, j’ai envie de hurler de désespoir : je n’y trouve personne ! Ils ont visiblement décidé de changer de lieu de campement et en l’espace de deux ou trois heures, ils ont démonté les yourtes et

Chapitre 13

empaqueté tout leur équipement. L’empreinte des chevaux et des troupeaux serpente vers le sud mais j’ignore où ils ont pu se rendre. En soupirant, je décide d’escalader les pans encore enneigés de la montagne pour avoir une meilleure visibilité. Les mains en visière pour éviter l‘aveuglement du soleil qui se reflète sur les cristaux de glace, je finis par repérer une longue masse sombre en mouvement. Tout l’Aïl avec les troupeaux qui progressent de concert. Très bien, je n’ai plus qu’à presser le pas et les rattraper...

- 14 -

Chapitre 14

J’ai l’impression que je marche depuis des siècles et je commence à vraiment faiblir. Le beignet indéfinissable offert par mon professeur a été englouti depuis bien longtemps et j’espère qu’ils ne sont plus très loin. Déjà la neige au sol s’est raréfiée et des pousses d’herbe verte pointent çà et là le bout de leur nez, appelant le printemps de leur impérieux désir végétal. Le vent des steppes m’apporte l’écho de bêlements, puis de voix humaines. Je suis tout près, enfin ! Et au sommet d’un renflement de terre, je découvre une vision magnifique. Un vallon herbeux, immaculé, traversé par un affluent de rivière, inondé de soleil. C’est le nouveau lieu de pâturage que l’Aïl a choisi et les troupeaux, moutons et chevaux, heureux de goûter l’herbe nouvelle, s’en donnent à cœur joie. Leur énergie gonfle la mienne et je rejoins le campement à bon rythme.

J’aperçois mon père avec Gambat et quelques hommes de l’Aïl, qui plantent déjà les piquets de l’enclos des moutons. Les autres déplient en cercle les treillis concaves comme des accordéons. Puis ils apposent

Chapitre 14

des perches de mélèze enfilées dans la couronne centrale comme les baleines d’un parapluie, pour ensuite hisser le parapluie et le faire reposer sur deux piliers centraux. De solides nœuds de lacets de cuir consolident ce gréement autoporteur. Je me suis souvent dit que les nomades mongols étaient les marins des steppes !

Je repère ma mère qui étale au sol le toit de feutre, et je la rejoins avec joie. Ses yeux étincellent, un large sourire illumine son visage mais l’accolade attendra que le travail soit fini. Je saisis une perche, la glisse sous le feutre et me joins aux voisins pour soulever puis hisser le lourd tissu jusqu’au sommet de l’armature. Nous le plaçons tout autour de la couronne centrale, puis le sanglons méticuleusement. Ensuite nous déroulons des pans de feutre sur les treillis circulaires, d’un côté à l’autre de la porte centrale, et les sanglons à leur tour. À l’intérieur de la yourte, grand-mère et mes sœurs étalent les tapis sur le parquet de bois, en attendant que le poêle central, les lits et coffres retrouvent leur place rituelle.

Chapitre 14

Deux ou trois heures auront suffi pour qu’avec l’entraide entre voisins, toutes les yourtes de l’Aïl soient fonctionnelles et que les poêles fument. Les plus âgés font alors une offrande de lait à Tengri, la Force-Ciel, aux ancêtres et aux esprits protecteurs pour qu’ils veillent sur les troupeaux et les habitants des yourtes. Je me rue sur les beignets sucrés que me proposent mes sœurs toutes babillantes, pressées de me raconter leurs dernières aventures, quand soudain une déflagration assourdissante retentit. Les chiens du campement hurlent à la mort. Un orage aussi épouvantable que soudain éclate et des trombes d’eau s’abattent sur la steppe. Chez nous, les orages sont une calamité aussi mauvaise que l’attaque des loups sur nos troupeaux. Des rivières d’eau s’infiltrent déjà sur le sol de la yourte, inondant les tapis. Les cris de panique des femmes et des enfants m’électrisent et j’ordonne à mes sœurs de grimper dans leur lit et de n’en pas bouger jusqu’au retour des adultes. Puis je me précipite hors de la yourte pour venir en aide aux miens.

Chapitre 14

Les mères rassemblent leurs enfants et les dirigent à l’intérieur des yourtes. Les moutons, dans leur enclos, bêlent d’effroi et se piétinent tandis que le niveau de l’eau monte à toute à allure. Pourquoi sont-ils déjà dans les enclos  alors que la nuit est encore loin ? Mais où sont mon frère, mon père et les hommes de l’Aïl ???

Oh non, ils ont dû partir rendre hommage à l’arbre vénérable au sommet du mont voisin, attacher des rubans de tissu multicolores à ses branches et prier les esprits des ancêtres et de la nature pour que le printemps soit bénéfique. Le temps qu’ils s’en reviennent, l’orage aura noyé même les poissons de la rivière ! Quelqu’un doit absolument sortir les moutons de leur enclos ! Je siffle à longs traits et un hennissement bien reconnaissable répond à mon appel : Altaïr, défiant les éléments déchaînés, galope vers moi. J’enlace son encolure et d’un réflexe acquis dans mes jeunes années de cavalier des steppes, je lance mes jambes au-dessus de ses flancs. Je me retrouve à califourchon et d’un serrement de jambes, je dirige mon étalon

Chapitre 14

vers l’enclos du bétail. Les sabots d’Altaïr envoient des gerbes d’eau boueuse autour de nous tandis qu’il affronte les courants avec vaillance.

Nous voilà près de l’enclos. J‘arrache les anneaux de cordages des piquets de l’entrée et les moutons s’échappent dans une panique indescriptible, nous bousculant au passage. Leur flot se déverse dans un débit aussi compact que les rideaux de pluie et ils se dirigent droit vers l’affluent de rivière en furie. Ils sont complètement fous ! Je presse les flancs d’Altaïr et d’un galop farouche, nous rattrapons les moutons de tête. Altaïr se cabre devant eux, faisant dévier leur trajectoire. Encore, encore mon brave Altaïr. Nous les repoussons, nous les guidons en amont pour qu’ils se réfugient en hauteur, sur les flancs de la montagne. Quand l’orage aura cessé, il nous faudra les rechercher, en espérant que les loups n’aient pas prélevé un trop lourd tribut, mais mieux vaut risquer d’en perdre quelques uns que de les laisser tous disparaître. C’est une règle que mon père nous a appris. Soudain, j’entends des bêlements de détresse en arrière. La pluie est si violente qu’elle masque

Chapitre 14

la lumière du jour. J’avance à l’aveuglette, guidé par l’oreille, quand le sol se dérobe soudain sous les sabots d’Altaïr. Il patauge dans un torrent de boue qui nous entraine inexorablement vers la rivière. Quelque chose de clair bouillonne devant nous, sûrement un agneau. Je demande encore un effort à Altaïr pour qu’il s’en rapproche. J’agrippe l’agneau avec mes avant-bras, le hisse sur l’encolure d’Altaïr pour le serrer contre ma poitrine. Mon étalon lutte de toutes ses forces et parvient à s’extirper du torrent boueux pour gravir un sol plus ferme. Il s’ébroue et retourne d’instinct vers le campement.

Aussi soudainement que l’orage a éclaté, il cesse, laissant la lumière blafarde regagner du terrain. L’adrénaline reflue lentement dans mon corps maintenant que le pire est passé. Hébété, je me rapproche des yourtes et constate l’étendue des dégâts. Tel un typhon secouant un voilier sur l’océan, la colère du ciel a emporté tout ce qui n’était pas solidement arrimé. Partout, du linge étendu à sécher, de la vaisselle en morceaux, des selles, des meubles de bois brisés... Une femme court vers moi en hurlant, suivie

Chapitre 14

par d’autres. Elle se jette sur moi et arrache de sous mon bras serré convulsivement contre ma poitrine l’agneau qui gigote et vagit faiblement.

- Taïtchou ! répète-t-elle en sanglotant de soulagement.

Je comprends enfin que ce que j’ai pris pour un agneau est en réalité Taïchou, son plus jeune fils ! Comme il commence tout juste à marcher, il a échappé à la surveillance de sa mère pour explorer le nouveau campement, et les torrents de pluie et boue l’ont emporté. Heureusement qu’Altaïr était là pour m’aider à le sauver ! Des papillons noirs frétillent sous mes paupières tandis que je sens des bras me saisir, me faire glisser du dos d’Altaïr et me trainer vers une yourte...

- 15 -

Chapitre 15

Quand j’émerge, un soleil victorieux illumine la steppe détrempée. Ses rayons obliques traversent le tono, le nombril de la yourte, la couronne de bois qui sert aussi bien de trou de fumée que de clé de voûte à l’édifice. Ebloui, je cligne des yeux avant de me redresser et de me diriger vers l’extérieur de la yourte.

Je me tiens à la porte avec mes mains qui ont perdu leurs pansements et je regarde bêtement mes doigts aux extrémités bleu-noir. Puis je cherche mon équilibre et fais quelques pas sur le sol spongieux. La tombée du jour est proche. Les hommes de l’Aïl ont dû rentrer précipitamment de leur pèlerinage et ils participent activement aux travaux de la communauté : regrouper les troupeaux dispersés, faire sécher tous les tapis, tentures, meubles, récupérer tout ce qui peut l’être. La vie des nomades est soumise aux aléas de leur terre. Des écarts de température qui s’étirent entre -40° et +40°, des déménagements à chaque changement de saison et parfois davantage lorsqu’il s’agit de trouver de nouveaux pâturages. Sans compter tous les imprévus de la nature comme cet

Chapitre 15

orage soudain. J’admire la force de mon peuple, leur solidarité indéfectible devant les épreuves. Pas une plainte ne surgit, au contraire des chants gutturaux retentissent pour se donner du courage.

Mes petites sœurs m’ont aperçu et elles courent vers moi en criaillant comme des oies sauvages. Leur nuée s’abat sur moi, me renversant au sol, elles me couvrent de baisers et de rires. Soudain, une ombre se dessine devant moi, en contrejour des derniers rayons rasants du soleil, mettant fin aux rires de mes sœurs. Elles se dispersent aussi vite qu’elles sont arrivées, et moi, je me redresse vivement, pour faire face à mon père.

Il me dévisage longuement, impassible. Puis il ouvre lentement les bras pour une accolade à laquelle je me prête avec soulagement. Toujours en silence, mon père me fait signe d’entrer dans notre yourte et de m’assoir. Je suis mort de peur et je fais tout pour n’en rien laisser paraître. Mon père sort de sa poche une boîte métallique, l’ouvre et me la tend. Ouh ! Du tabac à priser ? C’est donc le signe qu’il me considère comme un homme ? Les mains un peu

Chapitre 15

tremblantes, je prends une pincée de tabac que je dépose sur l’envers de ma main, entre le pouce et l’index, et je renifle l’âcre substance. Une crise d’éternuements me prend, tandis que mon père prise son tabac avec la sérénité de l’habitué. Je me demande si je m’habituerai un jour à ce cérémonial d’hommes. Quand mes éternuements ont cessé, je lève un regard timide vers mon père, attendant qu’il prenne la parole.

- J’ai parlé avec ta mère.

Un long silence s’ensuit, pendant lequel l’angoisse me ronge les entrailles tel un rat affamé. Puis il poursuit, grave :

- Je regrette que tu n’aies pas choisi la vie d’éleveur nomade, comme ton père et tes ancêtres avant lui. J’ai pourtant prié Tengri pour qu’il te ramène à la raison. Mais j’ai décidé de respecter ton choix.

Mon cœur manque un battement. Mon père pousse un bref soupir et se relève, prêt à sortir de la yourte. Je me redresse aussitôt et m’incline devant lui en le remerciant. Puis il sort

Chapitre 15

de la poche de son Del une enveloppe un peu chiffonnée, enroulée sur elle-même, qu’il glisse dans ma poche :

- Sois prudent en Amérique.

Et il quitte la yourte rapidement, sans un mot de plus. Je l’ai rarement entendu proférer autant de paroles d’un coup. Je déplie et ouvre l’enveloppe qu’il m’a donnée : dedans, c’est l’autorisation pour les mineurs de suivre l’enseignement du MIT. Et avec, il y a un paquet de Tugriks chiffonnés en petites coupures. Ça y est, ça recommence, mes yeux picotent et je sens les larmes monter. Cette fois, j’accepte de les laisser couler.

- 16 -

Chapitre 16

A la descente du bus qui me ramène à Oulan Bator, quelle n’est pas ma surprise de découvrir le professeur Temudjin, en compagnie de Salonqa ! Il est venu me chercher avec sa vieille voiture bringuebalante et avant de m’expliquer quoi que soit, il me demande si mon voyage a été bénéfique. Je lui montre l’enveloppe chiffonnée et il hoche juste la tête d’un air satisfait. Salonqa par contre est extrêmement volubile :

- Le professeur Keusséoglou a précisé la provenance des gravures sur les cylindres : la Macédoine, en -350 à -330 avant JC. Par contre les symboles géométriques lui sont incompréhensibles.

- Professeur, où en étaient les connaissances mathématiques et géométriques à cette époque ?

- Pythagore avait en - 600 réussi à formaliser les savoirs essentiels : les nombres entiers, les nombres carrés, les propriétés des triangles rectangles, le Pi, le nombre d’or, le pentagramme, etc., et à les traduire en entités mathématiques pures. Nombre de sociétés

Chapitre 16

ésotériques, tels les Francs-Maçons, se réclament encore des découvertes pythagoriciennes et...

Mon professeur est un passionné passionnant, je l’écouterais pendant des heures. Mais je me dois de le recentrer sur le sujet qui nous intéresse et très prosaïquement, je toussote bruyamment pour interrompre le flux de ses paroles :

- Donc, à l’époque des cylindres, on se situerait encore dans les connaissances formalisées par Pythagore ?

- Absolument. Ce savoir a été répandu dans les cours royales importantes de l’époque. Les professeurs s’appelaient les précepteurs, ils se consacraient à l’éducation des princes et nobles : philosophie, sciences, stratégie militaire, ...

Notre arrivée sur le parking de l’université interrompt le discours du professeur. À peine entrés dans la bibliothèque, Salonqa me dirige vers une table jonchée de livres, attrape mon ordi et le dépose face à une chaise :

Chapitre 16

- Sur ton écran, tu trouveras les images du cylindre d’os à plat et en volume. J’ai estompé les lettres identifiées par Monsieur Keusséoglou comme relevant du langage des Macédoniens, mais qui n’ont a priori aucun sens. Par contre, il reste un fatras de signes bizarres auxquels je ne comprends rien. À toi de jouer.

Hou là là, la vue d’ensemble me fait penser à une nova explosée. Je fais pivoter la reproduction dans tous les sens pour voir si une figure géométrique de répartition des signes apparaît, histoire de mettre un peu d’ordre dans le chaos ambiant, mais rien ne surgit de manière flagrante. Quoique... tous ces signes sont bourrés d’angles droits, si chers à Pythagore. Je les échantillonne et je compte 24 signes différents, mais tous de formes géométriques simples. J’isole un groupe de 18 signes, ils ont pour similitude les bâtonnets, de même longueur. Ils sont agencés bord à bord, en angle droit, par deux, par trois ou par quatre, formant alors un carré. La moitié d’entre ces 18 signes porte un point accolé à un angle quand il y a deux bâtonnets, au bâtonnet central

Chapitre 16

quand ils sont trois, au centre du carré quand ils sont quatre. Et soudain j’éclate de rire :

- Morpion !

Le professeur me regarde, interloqué, et je lui explique mon raisonnement :

- Cela m’a fait penser à un jeu auquel je jouais, enfant.

En quelques ordres vocaux, je sépare les neuf figures pointées des autres, et je les agence de manière à former une grille de morpion à neuf cases, complétée par des points dans toutes les cases.

- Si je peux me permettre, il y a une symétrie avec les neufs signes restants, intervient mon professeur. Tiens, une grille de morpion vide, fait-il en pianotant sur mon clavier.

Je fixe les deux figures symétriques et des fourmillements électriques parcourent mon échine jusqu’à la racine de mes cheveux :

Chapitre 16

- Salonqa, l’alphabet de la langue employée en Macédoine comporte combien de lettres ?

- 24. 18 consommes et 6 voyelles, les mêmes que le grec ancien. Le voilà, poursuit-elle en pianotant sur mon clavier pour le faire apparaître sur l’écran.

J’envoie une grille de calcul de correspondance entre les 18 cases de morpion et les 18 consonnes grecques, puis je remplace sur l’image du cylindre d’os les symboles géométriques par les consonnes. Je fais ensuite défiler les triangles et losanges que je devine être les voyelles, dans les différentes combinaisons possibles.

Soudain Salonqa, qui était venue se glisser derrière moi, pousse un cri de stupeur :

- Là ! Agrandis cette séquence, je l’envoie à Monsieur Keusséoglou. Je crois reconnaître un mot déjà présent sur le cylindre de fer...

Άλογο του Αλεξάνδρου, ανίκητος στην πλάτη σας θα είναι αθάνατο δύναμη αστέρι.

Chapitre 16

Le professeur Keusséoglou, à peine a-t-il reçu la séquence, nous envoie sa traduction. Le professeur Temudjin est si ému qu’il bredouille :

- C’est incroyable, c’est... Battushig, le message secret concerne quelqu’un d’aussi célèbre que peut l’être pour nous Gengis Khan ! Alexandre le Grand, un des plus grands conquérants du monde, et son célèbre cheval Bucéphale !

À cet instant, le signal d’un nouveau message reçu clignote à un angle de mon ordi. Par réflexe, je l’ouvre et sursaute en découvrant l’expéditeur. C’est Khubilaï, l’ancien élève de notre université qui travaille à la Hannibal Corp. Le professeur Temudjin lui a transmis mes coordonnées et ma requête après que je l’ai quitté pour aller voir mon père. Par fidélité pour son ancien professeur, Khubilaï a accepté de m’envoyer des photos des objets prélevés sur et autour du corps du cavalier de glace. À part les débris de vêtements et d’armure, il y a là un triangle de métal, gravé de symboles, quelques pièces d’or, deux parchemins.

Chapitre 16

Le message de Khubilaï est laconique. « Le premier document serait un « laissez-passer » militaire, le second une lettre de change. Les deux documents sont datés de -326 et signés de la main du général Ptolémée, commandant en chef de l’armée d’Alexandre le grand. »

- Je croyais que Ptolémée, c’était le premier d’une longue dynastie de pharaons d’Égypte ? demande Salonqa.

- En effet, précise le professeur Temudjin. C’était ce même général d’Alexandre, qui est ensuite devenu roi d’Égypte, cinq ans après la mort du Conquérant.

Le professeur Temudjin nous fait signe de nous rapprocher et nous montre sur un écran la carte des conquêtes d’Alexandre le grand, depuis son départ de Macédoine en -334. Il pointe à l’extrémité de droite la ville de Bouképhalis, vers le Pendjab actuel.

- Ici, en - 326, le dernier combat avant la retraite des troupes. Le cheval bien aimé d’Alexandre, Bucéphale,

Chapitre 16

disparaît, et Alexandre fonde une ville à son nom pour lui rendre hommage.

Puis il pose un index sur le mont Altaï, et trace un trajet à l’envers pour atteindre le Pendjab.

- Voilà par où le cavalier de glace est très probablement passé.

Je reporte mon attention sur mon ordi, revenant à la traduction du message secret du cylindre d’os :

« Cheval d’Alexandre, invincible sur ton dos sera, étoile du pouvoir immortel »

Encore cette fichue histoire d’étoile... Je capture l’image de la photo du triangle de métal à l’extrémité brisée, Je la multiplie en quatre exemplaires et fais pivoter les cinq images pour les assembler par la base. L’image produite est bien ce que je pressentais : une étoile à cinq branches... L’étoile du pouvoir immortel, un sceau de toute-puissance, brisé. Un frisson parcourt mon échine : Hannibal détient donc un fragment de l’étoile, et...

Chapitre 16

Je suis pris d’une terreur sans doute irraisonnée mais impossible à contrôler : des « si » s’entrechoquent et se combinent dans ma tête pour mener à une équation fatale :

Si John Fitzgerald Hannibal, avec la puissance de son réseau d’information, ses capacités financières et sa maîtrise des sciences les plus poussées,

Rassemble les fragments du sceau brisé et le reconstitue

Retrouve la trace de Bucéphale,

Alors il deviendra aussi puissant et indestructible que l’un de plus grands conquérants - et dictateurs - du monde !

Je dois tout faire pour l’en empêcher ! Mais comment Salonqa, le professeur Temudjin et moi pourrions nous lutter seuls contre la soif de pouvoir et les immenses moyens de Hannibal ?

Nous, vous, le Réseau d’internautes, anonymes ou célébrités dans votre domaine, de toutes les

Chapitre 16

nationalités, tous les savoirs, toutes les questions et toutes les entraides possibles, j’espère qu’ensemble, nous trouverons les fragments du sceau de toute puissance avant Hannibal. Et que nous l’empêcherons d’accéder à ce pouvoir si dangereux !

Télécharger :

mobiepubpdf

Partager :